BARBRA SANTINI - million dollar baby

[sell your soul] trois mois à peine, trois mois déjà. t'es assise à la table, y a papa au bout, un frère à tes côtés, les deux autres en face. l'autre bout de la table est vide. avant c'était maman. mais maman est morte. fusillée par des assoiffés de sang en italie, alors vous êtes partis pour sauver la famille, mais pas l'honneur tâché de rouge. tout n'est que silence, vagues qui se heurtent sur des rochers, le premier qui vient à parler se fera menacer, un flingue contre la tempe, c'est certain. tu regardes ton assiette. viande bleue, on la croirait encore vivante, qui bouge et te supplie d'arrêter le massacre. t'as des hallucinations avec ces foutus médocs, mais faut bien soigner l'hystérie dans ta petite tête de conne. sourire sur tes lèvres, tu sais pas trop pourquoi, l'idée de t'insulter te fait rire. pourquoi tu souris ? l'italien à la tête d'enflure te regarde, c'est ton grand-frère, le plus grand de vous tous, et ton père ne relève même pas. papa est mort avec maman. il en a plus que pour son sale boulot de sale mafieux, et tu détestes. t'as le regard fixe dans ton assiette qui te donne la gerbe, ton sourire s'efface illico, t'as pas peur, mais tu redoutes. va te faire foutre. le poing de ton père qui s'écrase sur la table, trop fort, et ça en fait tomber les verres. tu sursautes un peu, et de lui tu as peur. tes yeux qui regardent, analysent une scène chaotique. si maman était là, tout irait bien. si maman était là, peut-être que ta vie ressemblerait à quelque chose d'autre.

[nobody's watching] c'est trop décolleté, papa t'a fait remarquer. mais tu prends jamais en considération ses conseils de père attardé. alors t'es allée comme ça, travailler, faire la caissière souriante que t'es pas. t'as tiré la gueule aujourd'hui, plus que les autres jours. et ce soir t'es là, à compter ta caisse devant un patron trop mort de faim, appuyé sur le rebord de ton tapis roulant. sûrement qu'il mate tes seins, mais t'en a plus rien à faire. t'es qu'un cas désespéré parmi tant d'autres et ça t'exciterait presque, même, de savoir qu'il te trouve bonne. pourtant tu lèves pas les yeux vers lui. pas trop souriante, la demoiselle aujourd'hui. tu préfères compter les billets de tes doigts tremblants. il s'approche un peu, pose sa main moite sur la tienne et tu relèves enfin la tête. lui, il te regarde pas dans les yeux, non, il a mieux à faire, mieux à mater. qu'un bout de viande qu'on aurait laissé là, tu te rends compte qu'il n'y a plus que toi et ton putain de pervers de patron. touche moi encore une fois j'te crève les yeux, connard. et il saura jamais que t'es fille de mafieux, et que s'il te baise contre ton gré, il aura une balle entre les deux yeux. mais tu veux pas ça, alors tu fais mine d'être forte, ton masque sur le point de craquer. t'as les larmes aux yeux mais il s'en va. il s'en va et tu t'effondres.

[black dahlia] une marque de plus sur ton bras blanc, si blanc qu'on y voit tes veines. tu lâches la lame tranchante, le fluide rouge qui s'échappe de ta chair, s'étale dans l'évier, t'as quand même pensé à pas salir le sol en marbre de papa. ce soir tu penses à lui. ce soir tu voudrais qu'il meurt dans tes bras. il t'a quitté un jour d'avril, il faisait beau et pas très chaud, mais tu t'en moquais, puisqu'il était là. mais il ne t'aime plus, c'est ce qu'il t'a dit, et y a ton coeur en miettes, qui s'est éteint en une fraction de seconde. ton âme aussi noire que les enfers, t'as juré de le détruire. depuis t'es en souffrance, et personne ne le sait vraiment. tes doigts qui appuie sur la plaie, ça fait mal, mais t'es habituée à la douleur. plus peur, t'en veux toujours plus, sans oser passer à l'acte. dans le miroir, tu peux y voir ses yeux, sans qu'il ne soit là, l'affreux, le bourreau de ton coeur. t'as envie de pleurer mais tu t'es jurée de ne pas le faire pour lui, parce qu'il ne mérite pas tes larmes, mais seulement ta colère.

[from the ground] draps sales, vie souillée, ton image qui disparaît dans les bras d'un homme, ce soir, inconnu jusqu'à ce qu'il tombe sur ton annonce à la con. le gars en question t'a malmené, et le pire, c'est que t'as aimé ça. salie jusqu'à l'os, t'as plus rien pour toi, pas même ton intimité que t'offre aux passants un peu en manque. t'es rien de plus qu'une prostituée qui veut pas se le dire, contrairement aux filles de joie du lupanar de ton père, qui elles, assument. mais toi t'es pas logée, toi tu fais ça pour combler le vide, le manque dans ton être. parce que t'es bouffée par tes démons, et que cette vie-là, de toute façon, elle est gâchée. pas trop souriante, mais t'es bonne alors ça compense. tu lèves les yeux vers le type qui se rhabille, avec ses fringues de clochard, et t'essayes un sourire que tu loupes. ton visage écorché et tes cheveux ébène, tu hausses alors les épaule. t'es même pas désolée. ça fera vingt balles. tu tends la main dans une nonchalance qui te colle à la peau, le gars rechigne pas, file la thune et s'en va sans un merci. tu pourrais crever la gueule ouverte devant lui qu'il te tamponnerait encore sans s'apercevoir du drame. tu t'en fous. et le principal, c'est que ta famille soit pas au courant, le reste tu t'en moques pas mal.